" La poésie ne doit pas périr. Car alors, où serait l'espoir du Monde ? "
Léopold Sédar Senghor
Crépuscule
À Mademoiselle Marie Laurencin.
Frôlée par les ombres des morts
Sur l'herbe où le jour s'exténue
L'arlequine s'est mise nue
Et dans l'étang mire son corps
Un charlatan crépusculaire
Vante les tours que l'on va faire
Le ciel sans teinte est constellé
D'astres pâles comme du lait
Sur les tréteaux l'arlequin blême
Salue d'abord les spectateurs
Des sorciers venus de Bohême
Quelques fées et les enchanteurs
Ayant décroché une étoile
Il la manie à bras tendu
Tandis que des pieds un pendu
Sonne en mesure les cymbales
L'aveugle berce un bel enfant
La biche passe avec ses faons
Le nain regarde d'un air triste
Grandir l'arlequin trismégiste.
Alcools (1913)
1880-1918
"“Tous les hommes aiment avant tout la lumière, ils ont inventé le feu.”
Guillaume Apollinaire
Rêve Afghan
J’ai fait un rêve fou de liberté copieuse,
Où les doigts de la brise jouaient dans mes cheveux.
Un temps fondu, éteint, un temps sous d’autres cieux,
Quand la saveur de vivre était vertigineuse.
J’ai fait un rêve fou de liberté immense,
Où le goût du bonheur sucré et parfumé,
Telle une fleur nouvelle, sur mes lèvres naissait,
Dans un rire ou un jeu, au rythme d’une danse,
Quand les femmes afghanes dévoilaient leur beauté,
Au temps tué du miel, au temps de l’insouciance.
Le réveil est amer, dans leur monde j’ai froid.
Je divague et me fane, sous leurs odieuses lois.
Assise, silencieuse, condamnée et sans joie,
Derrière les barreaux de ma sombre burqa,
Soumise, morte-vive, apeurée et amère,
J’observe les enfants qui jouent dans la poussière.
Ils attrapent leurs cris et déploient leur candeur,
Bondissant, enjoués, sans doutes et sans peurs.
Desséchée, rejetée sous ma prison de linges,
Je respire sans bruits, je m’endors sans penser,
De peur que mon courage s’envole vers le large,
Moi la femme oubliée, moi la condamnée.
Dévoiler les brimades ? Impossible !
Espérer est un leurre.
Je ne suis qu’une femme que l’on a pris pour cible,
Dont le regard sensible évente son néant,
Tout en cachant ses pleurs.
Mes ailes pour voler, on les a arrachées,
Tel un oiseau épris d’espace et de vent,
Que le poids du malheur a soudain écrasé
Et qui s’agite au sol bougeant piteusement.
La voix du minaret éclabousse le soir,
Je ne veux plus prier, car Dieu lui-même est sourd,
Servage d’une femme enfermée dans sa tour,
Et que l’on ne peut voir.
Le prix de la liberté, c’est l'ombre du trépas !
La valeur de mon âme s’est perdue dans la nuit
Hideuse, sale et grise d’un monde que je fuis.
Liberté ! Liberté ! Mon enfant, dans mes bras,
Si chétive et fragile, verrais-je un jour tes ailes,
S’étendre à nouveau et répondre à l’appel,
De tes joyeuses sœurs qui prospèrent là-bas ?
Déborah Blanc
Clotilde
L'anémone et l'ancolie
Ont poussé dans le jardin
Où dort la mélancolie
Entre l'amour et le dédain
Il y vient aussi nos ombres
Que la nuit dissipera
Le soleil qui les rend sombres
Avec elles disparaîtra
Les déités des eaux vives
Laissent couler leurs cheveux
Passe il faut que tu poursuives
Cette belle ombre que tu veux.
Alcools (1913)
“J'ai tout donné au soleil, tout, sauf mon ombre.”
Guillaume Apollinaire
1ère
du concours de poésies
De l’intelligente liberté
La liberté est un savant et délicat dosage.
Une folie qui s’accorde des moments sages,
Et qui sans cesse repousse ses limites,
Tant que sur son chemin rien ne l’irrite.
Parce qu’il n’y a point de libertés,
Que l’Homme ne conquiert sans lutter.
La liberté est un cadeau de la vie,
Pour ceux qui savent donner de la mesure à leurs envies.
Les libertés ont au fil du temps écrit leur histoire,
Qu’il convient de toujours garder en mémoire.
Nullement gravées dans le marbre,
Ephémères elles sont comme les feuilles des arbres.
Gagnée dans le sang et les larmes,
Elle se perd en rangeant les armes,
Par ces lois dont l’Homme s’inspire,
Pour s’autoriser ce qu’il ne peut interdire.
Croire qu’il y a autant de libertés que de différences,
Oublie que le pouvoir dans ce monde a de grandes exigences.
Ainsi, libre est celui qui use de la liberté avec modération,
Pour que jamais elle ne l’enferme dans la privation.
La liberté est belle à vivre quand avec peu de choses,
Elle rend ivre, sans jamais aller jusqu’à cette overdose,
Qui viendrait effacer d’un trait rageur,
Ce qu’elle a su obtenir dans le courage et la douleur.
Il y a dans le désir de liberté, cette intelligence,
À en abuser avec parcimonie et élégance,
Pour que chacun puisse, sans se sentir coupable,
En disposer de façon saine et équitable.
Patrick-Louis Richard
2ème
du concours de poésies
Liberté et gloire
Comme chaque matin,
Libérée enfin des déclins;
Je te vois,
Je te sens,
Je te suis...
Invisible devant une porte fermée
Ombrée pour la fenêtre qui est juste à mes côtés
Tu t'endors dès l'aurore et tu t'oublies dans le brouillard et la nuée
Le soleil touchait mes vitres
Et sur mon visage, s'écrit
Une lettre...
C'était la vraie lettre dorée de nos ancêtres
Les colombes foncaient dans chaque regard libre
Et la voix, l'alliée de ton mi-chemin tissait ses fibres
Au fond de la prison brumeuse des instants et des vrais moments
Je rêve d'aller embrasser l'air
Je rêve de quitter les souvenirs et les misères
Je rêve d'être face à la mer
En compagnie de tes erreurs et de tes odeurs
Liberté;
Mon âme et mon cœur
Ma lueur et ma douleur
Liberté;
Mon éternelle enfance
Le combat malgré l'errance
Liberté;
Mon inventivité joyeuse
Mes étoiles sinueuses
Et le chant des femmes à l'aube
Dans la prairie de l'inconnu,
Nous raconte leurs espoirs et leurs histoires
Échappées trop tard au soir
Échappées trop tôt au noir
Pour pouvoir mieux voir
Pour garantir une dignité
Et décrocher en toute intimité la précieuse liberté
Malgré le besoin, on s'approche de la victoire.
Hanen Marouani
3ème
du concours de poésies